Pourquoi le Moyen-Orient est-il secoué par autant de conflits ? Voyez-vous un lien entre ces différentes crises ?
Je pense en effet qu’il convient d’établir un lien entre les conflits en Israël et Palestine, en Syrie, en Irak et, par extension, en Lybie, au Bahreïn, au Yémen, en Somalie et même au Mali.
Israël, petit morceau d’Europe exporté dans la région et l’héritage de la seconde guerre mondiale et de l’holocauste, ne parvient pas à établir une coexistence pacifique avec les Palestiniens qui vivaient sur ce territoire. Au contraire, la colonisation des rares terres qui leur appartiennent encore se poursuit. Les habitants de Gaza sont ainsi condamnés à vivre dans une prison à ciel ouvert. Toute attaque armée de leur part est suivie d’une sanction collective d’Israël dont les civils et les enfants de Gaza font les frais.
Face à l’impuissance des dirigeants des états Arabes voisins à mettre un terme à cette situation, une frustration et un sentiment de solidarité croissant pour la cause palestinienne se sont développés au sein de leurs populations. Un courant que les fondamentalistes religieux attisent et exploitent.
En 2003, c’est la « guerre contre le terrorisme », dirigée contre les fondamentalistes, qui a poussé les Etats-Unis à envahir l’Irak au motif du soutien supposé de Saddam Hussein à ces mouvances terroristes fondamentalistes. En la présentant comme une croisade, un souvenir douloureux qui hante toujours les relations entre l’occident et le Moyen-Orient, l’administration Bush a jeté de l’huile sur le feu. Si bien que 11 ans après l’invasion de l’Irak et 14 ans après le déclenchement de cette guerre contre le terrorisme, force est de constater que le terrorisme a augmenté de manière spectaculaire.
Une autre conséquence de l’occupation de l’Irak est la mise à mal de l’équilibre régional précaire qui régnait jusque-là entre les sunnites et les chiites, les deux principales branches de l’islam. Jusque-là, en Irak et en Syrie, le panarabisme séculier des partis baathistes était en effet parvenu à éviter que la guerre larvée centenaire entre ces deux courants ne prenne des proportions plus dramatiques. C’est ce qui explique la situation actuelle de la Syrie, où les soubresauts du printemps arabe se sont mués en une guerre civile ouverte, où les fondamentalistes sunnites ont la main et où l’Etat islamique (EI), le califat, s’étend désormais de part et d’autre de la frontière irako-syrienne.
Quelles sont les conséquences de ces conflits pour les minorités présentes dans la région?
La minorité, par définition, c’est « l’altérité », qu’elle soit ethnique, linguistique ou religieuse. Cette altérité, elle partage avec « la majorité » une économie, une culture, une histoire. Le Moyen-Orient, et par extension le reste de la planète, est le berceau de cultures très diverses. Elles y ont appris à coexister. Malheureusement, la région est aujourd’hui le théâtre d’une crise très préoccupante.
Dès que les premiers morts tombent, même pour les enfants, il est quasi impossible d’échapper à la polarisation des différents camps que ces épisodes de violences finissent par créer. Chaque groupe armé crie au ralliement : « c’est soit avec nous, soit contre nous !» Au moment précis où, pour garantir le vivre-ensemble et rétablir l’équilibre, le besoin de leaders visionnaires se fait le plus ressentir, ce sont des forces et des figures anxiogènes, voire cruelles, qui s’imposent. Ces dernières tirent alors sur les ficelles communautaires et diabolisent les minorités. Elles rompent ainsi le contrat social dont l’état était jusque-là le garant et auto-légitiment leur recours à la violence.
En théorie, les droits fondamentaux (la protection, la santé, l’alimentation, etc) des civils sont consacrés par le droit international et humanitaire mais, dans la pratique, le lot des populations prises en otages par la guerre est souvent la terreur et les atrocités. En théorie également, une distinction s’impose entre des combattants et des civils; les écoles et les hôpitaux ne peuvent pas être pris pour cibles et les exécutions extrajudiciaires sont proscrites. Mais encore une fois, dans la pratique, les groupes armés comme les armées régulières – bien qu’émanant d’états signataires de la Convention de Genève – pointent leurs armes sur des cibles civiles pour atteindre leurs buts politiques, ce qui correspond à la définition même du terrorisme.
Au jour d’aujourd’hui, la situation est particulièrement préoccupante pour les minorités dans le nord de l’Irak. C’est une persécution directe et ouverte de la part des djihadistes islamiques (EI). Ils menacent non seulement les chrétiens et les autres minorités, en tant que groupe social, mais menacent aussi la civilisation, le patrimoine culturel, artistique et historique du pays. Avant même ces nouvelles exactions, la population chrétienne d’Irak était passée de 1,5 million à 400.000 personnes depuis 2003…
Comment êtes-vous en mesure d’intervenir auprès des victimes de ces crises ?
Le sort de ces personnes, nous ne le souhaitons à personne: elles perdent en quelques heures ce qu’elles ont mis une vie à construire. Quitter son pays et ses biens constitue souvent l’option la plus sûre. Car c’est bien de sécurité qu’il s’agit: sécurité pour eux et leurs enfants, comme pour les humanitaires qui doivent pouvoir opérer. Dans le cas de la Jordanie, du Liban, de la Turquie et de certaines parties de l’Irak, cela demande des efforts considérables au pays hôte.
Déployer une aide à des victimes de conflits au sein de leurs frontières se révèle de plus en plus complexe. La prise pour cible de civils devient la règle et non l’exception. L’aide reste toutefois possible en l’acheminant par les réseaux existants. Les évêchés, les paroisses ou les ordres religieux jouent un rôle essentiel pour ce faire. Les églises, les cloîtres et les écoles servent d’abris. Les familles qui ouvrent leur porte aux déplacés sont aidées de manière discrète.
Les distributions de grande ampleur sont évitées pour ne pas attirer l’attention, car rassembler des civils en nombre, c’est risquer de les exposer. Nous travaillons de préférence avec des bons à valoir que les personnes peuvent échanger ensuite contre de la nourriture. Nous remboursons leurs frais de consultation chez le médecin, plutôt que d’établir de nouveaux postes de santé.
Et, pour le reste, nous négocions en permanence avec les parties belligérantes et leur rappelons à chaque instant que les femmes, les enfants, les civils comme vous et moi, ont droit à vivre et à vivre dignement.