Répression massive des personnes migrantes aux frontières européennes : est-ce l’avenir dont nous rêvons ?

Caritas International Belgique Répression massive des personnes migrantes aux frontières européennes : est-ce l’avenir dont nous rêvons ?

Wikipédia - La Biélorussie invite des migrant-e-s de diverses régions et les encourage à franchir la frontière avec la Pologne. Mais comme la Pologne ne veut pas d'elles et eux, et que la Biélorussie ne les laisse pas non plus faire demi-tour sur son territoire, les migrant-e-s sont piégé-e-s dans la zone frontalière.

Wikipédia - La Biélorussie invite des migrant-e-s de diverses régions et les encourage à franchir la frontière avec la Pologne. Mais comme la Pologne ne veut pas d'elles et eux, et que la Biélorussie ne les laisse pas non plus faire demi-tour sur son territoire, les migrant-e-s sont piégé-e-s dans la zone frontalière.

30/11/2021

Des centaines, voire des milliers de migrant-e-s tentent de survivre au froid glacial dans les forêts situées à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Ils et elles tentent en vain de passer la frontière de l’Europe – piégés comme des rats, chassés comme des animaux et pris dans un jeu politique sans pitié. « L’Europe ne devrait pas accepter cela », estime Tom Devriendt de Caritas International.

Pourquoi la Biélorussie invite-t-elle des réfugié‑e‑s pour ensuite les renvoyer ?

Le président biélorusse Loukachenko n’apprécie l’imposition de sanctions par l’Europe suite aux violations des droits humains et aux élections présidentielles frauduleuses en Biélorussie en 2020.

Ces sanctions ont été imposées à Loukachenko lui-même, à toute une liste de haut-e-s fonctionnaires, à des hommes et femmes d’affaires biélorusses et à des entreprises associées au régime et le soutenant. L’Union européenne (UE) les considère comme responsables de la poursuite de la répression violente et de l’intimidation, entre autres, de manifestant-e-s pacifiques, de membres de l’opposition et de journalistes. Les sanctions sont importantes : interdiction de voyager vers ou à travers le territoire de l’UE, gel des avoirs financiers et interdiction de financement par des entreprises et des citoyen-ne-s de l’UE. [1]

Le plan de vengeance de Loukachenko est de fragiliser l’UE en montant les États membres les uns contre les autres. Dans son jeu politique avec l’UE, il utilise les migrant-e-s comme monnaie d’échange et joue sur les divisions au sein l’UE concernant la gestion de la migration.

Comment ? Depuis l’été 2021, la Biélorussie invite des migrant-e-s de différentes nationalités (principalement du Moyen-Orient, mais aussi d’autres régions). Le pays communique activement à ce sujet, assouplit les visas touristiques et facilite l’accès au territoire. Les personnes qui arrivent ne veulent généralement pas rester en Biélorussie. De là, elles espèrent passer la frontière avec la Pologne et entrer en Europe. Elles sont des milliers. [2]

Caritas International Belgique Répression massive des personnes migrantes aux frontières européennes : est-ce l’avenir dont nous rêvons ?© Kancelaria Premiera – À la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, des clôtures en fil de fer barbelé ont été érigées et la police est prête à utiliser des canons à eau et des gaz lacrymogènes.

Quelle est la situation actuelle ?

Les personnes et familles migrantes veulent presque toutes se rendre à la frontière polonaise, et les autorités biélorusses les aident, de manière plus ou moins active. Parfois, c’est la police biélorusse elle-même qui les amène de la capitale, Minsk, à la frontière. D’autres migrant-e-s trouvent leur chemin vers la région frontalière par leurs propres moyens et ne sont pas vraiment arrêté-e-s par la police.

Certaines personnes parviennent à traverser la frontière et ont alors souvent besoin d’une assistance médicale urgente. Si elles ont de la chance, elles sont assistées par des bénévoles et du personnel médical local. Comme nous sommes en hiver, les conditions sont particulièrement difficiles.

D’autres personnes ne peuvent pas franchir la frontière car la police polonaise fait tout pour les en empêcher et celles qui entrent en territoire polonais sont repoussées au-delà de la frontière, avec des canons à eau et des gaz lacrymogènes. Des clôtures en barbelé ont été érigées à la frontière. L’état d’urgence a été déclaré dans une zone couvrant 183 villes et villages situés à moins de 3 kilomètres de la frontière – une zone interdite aux médias, aux ONG et aux volontaires.

Pourquoi la Pologne ne laisse-t-elle pas entrer les migrant‑e‑s ?

Le gouvernement polonais qualifie la situation de « menace grave pour la sécurité nationale » et considère donc cette mobilisation comme justifiée.

« Ces dernières années, présenter les migrant-e-s comme une menace a été de plus en plus un argument pour armer les frontières extérieures de l’Europe », note Tom Devriendt, de l’équipe plaidoyer de Caritas International.

Qu'en est-il des migrant‑e‑s là-bas ?

Les personnes migrantes ne peuvent pas retourner en Biélorussie. Si elles sont repoussées par la police polonaise, elles tomberont à nouveau sur la police biélorusse de l’autre côté de la frontière.

Les autorités Biélorusses ont délimité une bande de 10 kilomètres de large de leur côté de la frontière, appelée la « zone de sécurité ». Elle n’est accessible qu’aux résident-e-s biélorusses qui y vivent. La zone dans un rayon de 3 kilomètres la plus proche de la frontière est complètement fermée, seul-e-s les militaires et les responsables de la sécurité y ont accès.

Une fois qu’elles ont été repoussés sur le territoire biélorusse, les gardes-frontières détiennent ces personnes, les maltraitent, les conduisent à des points de rassemblement, les empêchent d’aller ailleurs et les obligent à franchir à nouveau la frontière polonaise. C’est une situation inhumaine.

Comme ces personnes ne peuvent avancer ou reculer dans aucun des deux pays, elles campent pendant des jours ou des semaines dans des tentes et survivent dehors, sans abri ni accès à des services humanitaires de base comme de la nourriture, de l’eau et des soins de santé. Les conséquences sont dramatiques. Il y a déjà eu 13 décès : les personnes ont succombé à l’hypothermie, aux maladies et aux blessures. Bien que les plus grands camps aient été vidés la semaine dernière et que les migrant-e-s aient été relogés, leur avenir n’est pas clair.

Que pensez de ces pratiques ?

« La Biélorussie n’est pas un pays sûr pour les migrant-e-s et les demandeurs/euses de protection internationale », constate Tom Devriendt. « En renvoyant des personnes vers des conditions inhumaines et dégradantes en Biélorussie, où elles n’ont pas accès aux procédures d’asile, sont confrontées à la violence, et séparées de leurs familles, la Pologne viole plusieurs obligations découlant du droit européen, des droits humains et du droit d’asile. » La principale obligation violée dans ce cas est l’interdiction des refoulements, c’est-à-dire l’envoi d’une personne dans un pays où elle court un risque réel de torture ou d’autres traitements inhumains et dégradants.

« Que des États membres de l’UE empêchent la fourniture d’une aide vitale à des personnes – souvent particulièrement vulnérables – est déplorable et imprudent », estime Tom Devriendt. « De plus, cela risque de saper le rôle de l’UE en tant qu’acteur humanitaire crédible et d’avoir des conséquences négatives sur l’accès humanitaire dans d’autres contextes en dehors de l’UE. »

Caritas International rappelle que les droits de toutes les personnes, quelles que soient leur origine ou leurs motifs de voyage, doivent être respectés. Les tensions géopolitiques ne devraient jamais servir de prétexte pour laisser des personnes mourir parce qu’elles tentent de franchir une frontière, ni pour se soustraire aux responsabilités liées à la sauvegarde du droit à la protection internationale.

Nous sommes également très préoccupés par les récents changements législatifs en Pologne, en Lituanie et en Lettonie qui rendent plus difficile l’accès à la protection internationale dans l’UE et légitiment les refoulements. Ces lois viennent à l’encontre de la Convention de Genève et la législation européenne sur la protection internationale. « Le gouvernement belge devrait donc demander immédiatement à la Commission européenne d’analyser attentivement ces modifications législatives et, le cas échéant, de prendre des mesures juridiques pour garantir le respect de la législation européenne en matière d’asile, notamment l’accès à la protection internationale et des conditions d’accueil appropriées et humaines », estime Tom Devriendt.

Que fait le réseau Caritas pour aider ?

Ces dernières semaines, Caritas Pologne a installé des abris dans des tentes. Ces « tentes de l’espoir » sont ouvertes à toutes et tous : toutes les personnes en difficulté, les migrant-e-s, les candidat-e-s réfugié-e-s et les réfugié-e-s reconnu-e-s. Caritas Pologne note que le nombre de personnes qu’elle aide habituellement a triplé ces dernières semaines. Père Marcin Iżycki, directeur de Caritas Pologne témoigne : « chaque personne, peu importe d’où elle vient, est comme une sœur ou un frère pour nous. Cela nous encourage à faire tout ce que nous pouvons pour aider. Il s’agit de sauver des vies. » [3]

Du côté de la Belgique, Caritas International exhorte les autorités belges à faire tout leur possible pour convaincre leurs collègues polonais d’appliquer la législation européenne et de respecter le droit à la protection internationale à la frontière extérieure. À court terme, il est essentiel que les États membres concernés accordent un accès humanitaire urgent aux personnes touchées afin que les organisations humanitaires puissent les atteindre et leur porter assistance.

Que propose Caritas International pour résoudre cette situation ?

Si cette impasse devait perdurer, nous proposons d’évacuer immédiatement les personnes de la zone frontalière vers d’autres États membres de l’UE, notamment en profitant de l’aide offerte par la société civile européenne, les villes et les associations religieuses pour héberger ces personnes. C’est ainsi que nous pouvons sauver des vies humaines.

L’UE peut envisager un mécanisme de relocalisation temporaire, afin que les personnes qui arrivent sur le territoire polonais puissent être hébergées ailleurs dans l’UE et que leurs besoins de protection puissent être évalués de manière équitable. L’attente d’un futur pacte européen sur l’asile et les migrations n’est pas une option, car cela prendra beaucoup de temps. L’absence d’un accord sur les mécanismes de solidarité (le point de blocage le plus important dans les négociations de ce pacte) ne doit pas empêcher la Belgique de prendre elle-même des initiatives.

L’évacuation des personnes vers des pays tiers hors de l’UE pour traiter leur demande de protection, comme cela a été suggéré ici et là, est illégale au regard du droit international et du droit européen.

Le respect des droits humains et du droit international avant tout

« Construire des clôtures coûteuses n’est pas conforme aux valeurs de l’UE et les institutions européennes ne devraient pas s’accorder à ce type de réponse. Toute gestion des frontières doit se faire dans le respect des droits humains et du droit international. Dresser davantage de murs et tolérer la violence à l’encontre des personnes migrantes ne peut être l’image future que l’Union européenne a d’elle-même », déclare Tom Devriendt.

« La Belgique et les autres États membres de l’UE doivent répondre à la crise aux frontières conformément au droit international et européen. Le cadre politique et juridique actuel, s’il est correctement appliqué, fournit tous les éléments pour faire face à cette situation de manière calme, bien organisée et équitable. » [4]



[2]

La Biélorussie n’est pas membre de l’Union européenne, donc la frontière avec la Pologne est de facto une frontière extérieure de l’Union européenne. La Biélorussie n’est pas non plus signataire aux accords de Dublin, donc ces « accords de réadmission » ne sont pas d’application. En d’autres termes, repousser des personnes vers la Biélorussie est un acte de refoulement.

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