« Amadou ! Amadou ! A-ma-douuuu ! ». Deux filles crient le nom de leur petit frère en gardant les yeux grands ouverts dans l’espoir qu’il dévoile sa cachette. Derrière un muret, une petite tête apparaît. Rapidement, il détale comme un lièvre avec, à sa poursuite, deux grandes sœurs aux anges. Pendant que les enfants jouent, insouciants, les mamans discutent, partagent leurs expériences de femme en Belgique et dans leur pays d’origine.
Entre ciel et terre
« Sans papiers, vous êtes bloquée, quelque part entre ciel et terre », raconte Mariam*. « Je pleure beaucoup. Pourtant, mes attentes sont maigres. Je veux juste vivre simplement. En Tunisie, il n’y a plus rien pour moi. » L’insécurité d’un avenir sans l’obtention du statut de réfugié, vit parmi les résidentes. Pourtant, elles ont de grandes chances de pouvoir être reconnues : 86 % des femmes qui ont quittées Louvranges en 2018 ont obtenu un statut et permis de séjour.
Pour Claudia*, originaire du Congo, l’insécurité n’est plus. Après environs deux années, elle vient d’apprendre qu’elle a été reconnue en tant que réfugiée. Elle déménage la semaine prochaine. « Je suis protégée, j’aurai un toit au-dessus de la tête, de la nourriture… tout ce dont j’ai besoin. Mais d’autres n’ont pas tout ça, vivent dans la rue. Ce me touche beaucoup. »
Fatoumata* sait de quoi elle parle… Elle était, elle-même, détenue en centre fermé parce qu’elle n’avait pas les bons papiers. « J’ai des contacts avec d’autres Guinéens. Il y en a qui vivent sans papiers, sans rien, mais qui ont trop peur de retourner au pays. D’autres ont été reconnus, d’autre encore sont décédés ou sont partis vers un autre pays. »
Changement politique ou individuel ?
Equipés de gros feutres colorés, les enfants dessinent des arbres, fleurs et un éléphant qui ornent à présent la salle où les mamans dévoilent petit à petit leur histoire. Le récit d’exile de chacune d’entre elles est très lourd et ce passé difficile les a toutes fragilisées et rendues vulnérables. Mais elles n’y voient pas toutes la même causalité : « Les problèmes que nous, femmes, rencontrons, dépendent de notre classe sociale », dit Valentine*. « Au Rwanda, les autres problèmes sont surtout politiques. Personne n’ose dénoncer ça. »
« La politique, c’est la base de tout », pense Claudia* tout haut. « Lorsqu’une loi dicte qu’on ne peut voler, les gens ne volent pas. Si la loi interdisait aux maris de battre leurs femmes, les hommes prendraient peur. Les lois et usages influencent les populations. »
« On parle de gouvernements mais… chez nous, ça commence dans les familles », ajoute Fatoumata, indignée. « Parfois, il arrive qu’une femme soit battue sur la place publique, au marché. Si celui qui la bat dit qu’il est son époux, personne ne défendra cette femme ! »
« Par le passé, tout ça était normal pour moi… même si j’en souffrais », continue Fatoumata. « J’ai été excisée. Mais je ne voulais pas que ça arrive à ma fille. J’avais tellement peur. Il y a des filles qui en meurent, vous savez… De nombreuses femmes ont déjà quitté le pays mais on tente de garder le contact avec celles et ceux qui restent. J’ai l’impression que les choses commencent à bouger. »
Femmes isolées
Chantal* est assise par terre avec son fils. Il attrape continuellement de nouveaux « jouets », comme une bouteille en plastique. « En tant que femme seule, vous perdez vos droits », dit-elle. « Dans la province congolaise d’où je viens, une femme divorcée est montrée du doigts alors qu’un homme peut se remarier sans soucis. Votre directeur peut même vous dire ‘ah tu n’es pas mariée, alors je propose que tu deviennes ma maîtresse.’ Comme ça. Sans autre chose. Et vous devez accepter ou changer d’emploi. »
Chacune de ces femmes avait de très bonnes raisons de quitter son pays d’origine, qu’elles soient personnelles ou politiques. Parce qu’elles sont femmes, elles sont vulnérables, dans leur pays d’origine, pendant leur exil ou en Belgique. « Certains problèmes ne touchent que les femmes », termine Chantal. « Certains ne vous voient que comme femme. Tu n’es qu’une femme. »