Sans-papiers en Belgique : causes et conséquences [Long Read]

Caritas International Belgique Sans-papiers en Belgique : causes et conséquences [Long Read]

Isabel Corthier - Jeune réfugié accompagné par Caritas (2018)

Isabel Corthier - Jeune réfugié accompagné par Caritas (2018)

07/08/2019

En Belgique, le nombre de sans-papiers est estimé à 150.000 personnes. Elles vivent principalement à Bruxelles. Comment devient-on sans-papiers ? Quelles sont leurs difficultés et quelles solutions ?

Le qualificatif « sans-papiers » désigne toute personne qui n’a pas – ou plus – de titre de séjour lui permettant de résider de façon régulière sur le territoire belge.  Nous évitons les termes « illégaux » ou « clandestins » car ils renvoient à un imaginaire d’hors‐la-loi ou de criminel. Or, la personne sans-papiers n’a pas commis de crimes ; elle vit « simplement » dans une irrégularité administrative. Une personne sans-papiers se retrouve dans une situation irrégulière soit suite à l’expiration d’un visa – qui donne l’autorisation pour les ressortissants non-européens d’entrer en Belgique de manière régulière pour une période déterminée, ou d’un titre de séjour – qui donne l’autorisation de séjourner plus longuement Belgique, soit suite à une entrée irrégulière sur le territoire.

Expiration d'un visa ou titre de séjour

Les visas et titres de séjour ont une validité généralement limitée dans le temps, et sont souvent conditionnés à certaines exigences au moment du renouvellement : contrat de travail, revenu stable, et, si la personne est venue pour un regroupement familial, contrat de mariage toujours valide. Cette situation implique que beaucoup de personnes étrangères n’ont pas le droit de perdre leur emploi, de tomber malade, ou de se séparer de leur conjoint-e sous peine de devoir quitter le territoire. Puisque 78% des visas pour regroupement familial sont octroyés aux femmes[1], ces dernières sont particulièrement vulnérables.

“J’ai reçu un titre de séjour afin de rejoindre mon mari (nigérian) dans le cadre d’une regroupement familial. C’est lui qui s’occupait des aspects administratifs. Il n’a pas fait les démarches nécessaires pour le renouvellement de ma carte de séjour au terme des 5 ans. Après avoir insisté pour qu’il remédie à la situation, il était trop tard car il était alors sans emploi et faisait défaut à l’une des conditions au renouvellement. Il est ensuite parti travailler à l’étranger. Sans titre de séjour, impossible de le suivre. Avec la distance, nous nous sommes finalement séparés. Je suis aujourd’hui toujours sans-papiers.” Amy, 45 ans, depuis 11 ans en Belgique.

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Entrée irrégulière sur le territoire

Lors d’une entrée irrégulière sur le territoire, certaines personnes ne déposent aucune demande de protection internationale et tombent de facto dans une situation irrégulière. Pourquoi ne font-ils pas de demande ? Elles ne connaissent pas leurs droits[2] , elles sont tenues par le règlement Dublin[3] ou elles n’entrent ou ne pensent pas entrer dans les conditions pour bénéficier d’une protection.

D’autres déposent une demande de protection internationale après une entrée irrégulière, mais voient leur demande déboutée. Ce fut le cas pour 5.156 personnes en 2018[4]. Certain-e-s décident alors de retourner dans leurs pays d’origine, les autres restent. Ils deviennent alors sans-papiers. C’est notamment le cas de Mohammed, originaire d’Irak. “Ils ont dit que je n’avais pas assez de preuves attestant que je m’étais fait torturer. Ma demande a donc été refusée deux fois. Que puis-je faire ? Impossible de retourner là-bas et impossible de régulariser ma situation ici ! “

Comment survivre sans papiers en Belgique ?

  • Comment générer des revenus ?

La génération de revenus est une des difficultés principales pour la personne sans-papiers. Elle ne bénéficie d’aucune aide sociale et la loi interdit aux employeurs d’engager un-e travailleur-euse sans titre de séjour ni permis de travail. C’est pourquoi la plupart des personnes sans-papiers voient leurs perspectives de revenus limitées à deux options : la solidarité de leur réseau ou le travail au noir. La personne sans-papiers est donc extrêmement dépendante de son réseau ou de son employeur.

Certains employeurs profitent de cette dépendance : salaires de misère, flexibilité à outrance, absence totale de couverture, pression continuelle, concurrence entre travailleurs/euses, etc. Les conditions de travail de certain-e-s travailleurs/euses peuvent déboucher sur de la traite d’êtres humains[5].

Pourtant, la personne sans-papiers dispose – comme tout être humain – de droits fondamentaux même en l’absence de titre de séjour : droit de mener une vie familiale, droit à la santé, à l’éducation, à l’accès à la justice, au respect de la dignité humaine, droits du travail – en ce compris droit au salaire minimum. Toutefois, comment revendiquer ses droits auprès d’une autorité étatique que l’on craint ? Comment prouver une relation contractuelle lorsque le contrat est oral et le payement réalisé en liquide ?

  • Comment accéder aux services de base ?

Les sans‐papiers ne bénéficient d’aucune aide, à l’exception de l’aide médicale urgente et d’un accès à l’éducation pour les mineurs. « J’ai arrêté les études à 18 ans pour aider mes parents à travailler. Je fais le ménage pour le moment, mais je pense que j’aurais pu faire davantage. J’aurais aimé être infirmière … » témoigne Susanne, 24 ans du Kosovo.

L’absence de papiers complique toute démarche, en ce compris des activités qui semblent anodines. Les propriétaires exigent souvent des garanties financières officielles (fiches de paie, etc.) et les banques des documents valides. « Un jour, mon frère et moi étions coincés à la gare car les guichets étaient fermés et les machines n’acceptaient que les cartes de banque. Nous n’en avons pas bien sûr, car les banques nous refusent l’ouverture d’un compte. Heureusement quelqu’un a bien voulu nous aider » témoigne Susanne du Kosovo.

Ces difficultés du quotidien peuvent causer des maux psychologiques potentiellement lourds, intensifiés par la peur constante d’être arrêté, détenu en centre fermé, et expulsé.

La régularisation seule solution pour remédier à la situation

La régularisation est une procédure administrative qui permet à une personne qui n’a pas – ou plus – de permis de séjour en Belgique d’obtenir exceptionnellement une autorisation de séjour depuis le sol belge[6]. Celle-ci peut être obtenue pour deux raisons :

  • Régularisation pour raisons humanitaires (article 9bis de la loi du 15 décembre 1980) : En cas de circonstances exceptionnelles justifiant que la demande de séjour ne soit pas faite depuis l’étranger, une personne sans-papier peut demander une régularisation.
  • Régularisation pour raisons médicales (article 9ter de la loi du 15 décembre 1980) : Une personne sans-papiers souffrant d’une maladie grave et dont le traitement n’est pas envisageable dans son pays d’origine peut obtenir un titre de séjour le temps de se faire soigner.

Ces deux articles sont interprétés de manière très stricte par les autorités compétentes. En ce qui concerne les raisons médicales, l’appréciation astreignante des quelques critères existants par l’Office des Étrangers (gravité de la maladie, accessibilité du traitement, etc.) ne permet la régularisation que d’un nombre dérisoire de patient-e-s. En matière de régularisation pour raisons humanitaires, l’absence de critères définis laisse à l’Office des Étrangers un pouvoir pleinement discrétionnaire. En 2009, des critères ont été fixés de manière temporaire, entraînant une vague de régularisation. Depuis lors, la question n’a jamais été remise à l’ordre du jour et le nombre de régularisations pour raisons humanitaires (9bis) et médicales (9ter) n’a jamais été aussi bas que depuis 2016 pour les premières et 2009 pour les secondes[7].

Quels changements politiques sont nécessaires ?

Caritas appelle à divers changements politiques pour remédier à la situation vulnérables dans laquelle sont de nombreux hommes et de nombreuses femmes sans-papiers :

  • Plus de voies d’accès légales

Plus de voies d’accès légales et sûres permettraient d’éviter à un certain nombre de personnes de tomber dans une situation d’irrégularité administrative. Nous appelons à une législation ambitieuse qui faciliterait la migration des travailleurs/euses plus ou moins qualifié-e-s, en particulier dans les secteurs en pénurie, et à davantage de souplesse dans le traitement des demandes de regroupement familial[7].

  • Un accès aux services de base  

Un meilleur accès aux prestations sociales et aux services de base pour les personnes sans-papiers permettrait d’éviter d’aggraver la situation de vulnérabilité et de pauvreté à laquelle elles sont confrontées.

  • Une politique de retour sur base volontaire

Assister la personne au retour vers le pays d’origine, de manière volontaire, permet à certains de quitter leur situation de vulnérabilité. La décision doit toutefois toujours être personnelle et volontaire.


Ce concours prend place dans le cadre du projet MIND, qui reçoit le soutien financier du programme de l’Union européenne pour la sensibilisation et l’éducation au développement (DEAR). Ce contenu relève de la responsabilité de Caritas International, et ne reflète pas nécessairement la position de l’Union européenne. 

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[1]

Myria. 2018. La migration en chiffres et en droits, 2018 : Droit de vivre en famille sous pression. Consulté le 12 mars 2019.

[2]

Caritas International fait partie des associations actives au sein du HUB humanitaire du Parc Maximilien. Nous avons constaté que les migrants étaient souvent dans un flou total quant à leur situation et à leurs options face à la complexité des règles (européennes et belges) en matière de séjour des étrangers, d’asile et de protection internationale. Caritas International, CIRÉ, NANSEN, Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, Vluchtelingenwerk Vlaanderen. 2019. Migrants en transit en Belgique – Recommandations pour une approche plus humaine. Consulté le 12 mars 2019.

 

[3]

Le règlement Dublin stipule que le premier pays de l’espace Dublin (qui comprend les pays de l’Union européenne, la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein) dans lequel les empreintes digitales de la personne migrante ont été prises est responsable de l’examen de sa procédure d’asile.

[4]

CGRA. 2019. Statistiques d’asile – décembre 2018. Consulté le 12 mars 2019

[5]

La traite d’êtres humains peut être définie comme l’exploitation d’individus à des fins lucratives. L’exploitation peut être sexuelle – la prostitution par exemple – ou économique. Elle prend alors typiquement place dans des secteurs comme le bâtiment, le travail saisonnier, l’horeca ou le travail domestique. (Myria, 2019) Alors que l’exploitation sexuelle affecte presque exclusivement les femmes, les hommes sont eux en grande partie exploités économiquement.(Mahieu, 2010)] Toutefois, l’absence de visibilité du travail domestique, principalement assumé par des femmes, les rend également vulnérables.

[6]

En principe, l’ensemble des demandes d’autorisation de séjour doivent être déposées depuis l’étranger auprès d’une ambassade ou d’un consulat belge.

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