L’esprit de famille : à la fois atout et malédiction pour les personnes qui retournent au Pakistan

Caritas International Belgique L’esprit de famille : à la fois atout et malédiction pour les personnes qui retournent au Pakistan

Zia Ul Badar, de l’organisation pakistanaise Reintegration Support Services - © Caritas International

Zia Ul Badar, de l’organisation pakistanaise Reintegration Support Services - © Caritas International

27/06/2024

Caritas International a récemment organisé son annuelle semaine des partenaires à Bruxelles. L’objectif de cet événement était d’échanger des bonnes pratiques et des réflexions avec les organisations partenaires qui soutiennent le retour des personnes migrantes vers leur pays d’origine.

Cette édition était consacrée au Pakistan, au Kirghizistan et à la Tchétchénie. A cette occasion, nous avons eu l’occasion de rencontrer Zia Ul Badar de l’organisation pakistanaise Reintegration Support Services. « Participer à ces rencontres est vraiment enrichissant », témoigne Badar. « J’ai appris beaucoup de choses sur la manière dont le retour s’organise au Kirghizistan et en Tchétchénie, sur le fonctionnement de Fedasil1 et sur l’accueil des personnes réfugiées en Belgique. Au Pakistan, nous apprécions énormément l’accompagnement que Caritas International propose aux personnes retournées. Celui-ci est fiable et précis.»  

Situation au Pakistan

Situé entre l’Inde et l’Afghanistan, le Pakistan compte 243 millions d’habitant-e-s. Chaque année, beaucoup d’entre eux et elles quittent le pays. En 2023, ils et elles étaient plus de 8 millions. Certain-e-s choisissent ensuite de retourner au Pakistan. « Nous essayons de réintégrer de manière durable les personnes qui reviennent au pays », explique Badar . Reintegration Support Services propose une assistance psychosociale, financière, juridique et administrative aux personnes retournées – par exemple pour l’obtention d’un permis de conduire ou d’une carte d’identité. Les femmes, les enfants et les personnes en situation de handicap bénéficient également d’un accompagnement adapté.

Les raisons qui poussent les Pakistanais-e-s à émigrer sont nombreuses : chômage élevé, bas salaires, situation politique et économique instable, inflation élevée, situation sécuritaire précaire, manque d’opportunités, dysfonctionnement du système judiciaire, truquage des élections… « Le Pakistanais moyen ne se sent pas en sécurité dans son propre pays. En décembre 2014, plus de 140 enfants et adultes ont été tués lors d’une attaque terroriste contre une école à Peshawar. Les journalistes sont également en danger. Parfois, ils et elles sont tué-e-s dans l’exercice de leur profession. » 

Construire sa vie ailleurs, que ce soit en Belgique ou dans un autre pays européen, n’est cependant pas facile. Le nombre de personnes qui font le choix de retourner au Pakistan après leur parcours d’exil, est en augmentation. En 2023, l’organisation de Badar a ainsi traité 55 dossiers de personnes retournées depuis la Belgique. 50 dossiers ont déjà été traités rien que pour les six premiers mois de l’année 2024.

Accueil à l'aéroport

« Nous mettons tout en œuvre pour réintégrer les personnes de manière durable », explique Badar. « Les familles jouent un rôle important à cet égard. Au Pakistan, l’esprit de famille est très fort. Trois ou quatre générations vivent ensemble sur de grands terrains. Les personnes qui reviennent sont généralement accueillies à l’aéroport par des membres de leur famille mais sont souvent considérées de manière négative : elles ont raté, elles n’ont pas réussi à s’en sortir à l’étranger. Beaucoup souffrent de dépression ou de problèmes mentaux. Elles doivent surmonter les traumatismes, la honte et la stigmatisation, tout en essayant de se réadapter à la vie au Pakistan. » 

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Certaines personnes de retour au Pakistan utilisent leur budget de réintégration pour acheter du bétail . – © Reintegration Support Services

Lorsqu’une personne revient dans son pays d’origine, la famille est curieuse d’en connaître la raison. La personne a-t-elle fait quelque chose de mal à l’étranger ? La famille – en particulier les hommes, d’après l’expérience de Badar – cherche aussi à connaître le montant alloué pour l’aide à la réintégration et à influencer la manière dont cet argent sera utilisé. Il faut dire que de nombreuses familles dépendent de l’argent envoyé par ses membres exilés à l’étranger. Quand cette source de revenus se tarit, cela peut avoir des conséquences désastreuses.

« L’avantage des liens familiaux forts c’est que, lorsqu’une personne retourne au Pakistan, elle dispose d’un endroit où aller et ne risque pas de se retrouver à la rue. Grâce à sa famille, elle peut également renouer plus facilement avec la communauté locale. Mais la famille veut souvent décider de l’utilisation du budget de réintégration. Si on s’y oppose, on est considéré comme une personne désobéissante. » 

Quelques témoignages

Badar raconte l’histoire d’Abdul, un paysan qui avait quitté le Pakistan pour le Royaume-Uni, avant d’atterrir finalement en Belgique. « Ses enfants lui manquaient beaucoup et il a décidé de retourner dans son pays d’origine. Il y a acheté quelques vaches à crédit, mais ses fils ont estimé que ce n’était pas une bonne idée et ont insisté pour qu’il investisse dans un magasin de téléphonie mobile. Abdul a fini par céder à leur pression, s’est débarrassé de ses vaches et a ouvert son magasin. L’attitude de ses fils est devenue beaucoup plus positive et le magasin fonctionne bien. Aujourd’hui et Abdul s’est adapté à sa nouvelle situation. »

La conseillère en réintégration se souvient également d’un jeune, retourné tellement déprimé au Pakistan qu’il n’a presque pas quitté sa chambre pendant deux mois. « Il a fallu beaucoup de temps avant qu’il accepte de venir nous voir », témoigne Badar. « Nous avons dû le convaincre qu’il était encore jeune, qu’il pouvait encore reprendre le contrôle sur sa vie et se construire un avenir meilleur. » 

Une femme pakistanaise installée en Belgique a décidé de se séparer de son mari qui la maltraitait et de retourner au Pakistan. « La famille sur place est tombée des nues. Sa mère ne lui a plus adressé la parole pendant quatre ans, jusqu’à sa mort. C’est très dur de vivre une telle expérience. » 

Un accompagnement avant et après le retour

Il est donc capital d’accompagner les candidat-e-s au retour en amont mais également après le retour dans le pays d’origine. Grâce à ses partenaires locaux, Caritas International propose un accompagnement individuel et adapté pendant plusieurs mois, sous différentes formes : financière, psychosociale, administrative et économique.

Badar estime que les budgets dédiés à la réintégration des personnes retournées devraient être augmentés. « L’inflation est très élevée au Pakistan, ce qui rend difficile de réaliser quoi ce soit avec le budget alloué ». 



Fedasil est l’agence belge chargée de l’accueil des personnes demandeuses de protection internationale. Elle coordonne également l’organisation des retours volontaires vers les pays d’origine. Elle collabore étroitement avec Caritas International.

 

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