L’art pour se reconnecter à soi-même et aux autres

Caritas International Belgique L’art pour se reconnecter à soi-même et aux autres

Marie-Laure a lancé l'initiative de l'exposition pour motiver les autres résidentes. – © Caritas International

Marie-Laure a lancé l'initiative de l'exposition pour motiver les autres résidentes. – © Caritas International

19/10/2023

Beaucoup de personnes migrantes sont dans une situation de vulnérabilité non seulement matérielle, mais aussi psychologique. Comment les aider à surmonter leurs traumatismes et à reprendre confiance en elles ? Aux Logis de Louvranges, durant tout l’été 2023, certaines résidentes ont participé à des ateliers d’art-thérapie animés par l’association The Red Pencil (Europe). Une première dans une structure d’accueil de Caritas.

Pour la plupart des personnes accompagnées par Caritas, la migration est synonyme de souffrances : séparations, deuils, violences… Elles ont vécu des expériences choquantes et font face à de nombreuses incertitudes concernant leur avenir. Cette accumulation peut faire naître des sentiments d’anxiété, de dépression, d’impuissance… La difficulté à traiter des souvenirs traumatiques peut également mener à des troubles dissociatifs (amnésie, sensation de détachement de soi et de son environnement).

Aux Logis de Louvranges Caritas International accueille des femmes isolées avec ou sans enfants qui sont particulièrement vulnérables et leur propose un accompagnement multidisciplinaire –
médical, social, juridique…, en collaboration avec différents services externes. Tout au long de l’été 2023, l’équipe a proposé aux résidentes qui le souhaitaient de participer à des ateliers d’art-thérapie. Objectif : à travers le dessin, la peinture, la danse, les aider à reprendre confiance en elles et en leurs forces. « Ces ateliers ont été pensés comme compléments au suivi thérapeutique des résidentes, qui est assuré par des psychologues externes », explique Rosane Beauve, coordinatrice adjointe des Logis. « Nous avons voulu organiser au sein même de notre structure une activité collective, pendant laquelle les femmes créent des liens entre elles. En temps normal, certaines sont assez isolées. » 

Marie-Laure (photo ci-dessus) habite aux Logis de Louvranges depuis deux ans avec ses deux enfants. Elle a pris part aux ateliers et c’est elle qui a eu l’idée de monter une petite exposition pour en présenter les productions. « Nous avons d’abord gribouillé des dessins spontanés pour apprendre à lâcher prise et extérioriser la fatigue et le stress qui étaient en nous. Nous avons ensuite sélectionné des images qui représentaient nos émotions et avons expliqué nos choix aux autres. Nous avons fait des collages. Nous avons aussi fait du Qi Gong et de la danse. »

Prendre du temps pour soi et profiter de l’instant présent

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Valérie André, art-thérapeute de l’association The Red Pencil. – © Caritas International

Les huit séances organisées durant l’été 2023 ont été animées par Valérie André. Celle-ci travaille pour The Red Pencil, une association spécialisée dans l’art-thérapie.1 « Dans le cadre de ma pratique, j’anime des ateliers pour différents types de publics », explique-t-elle. « Travailler avec des femmes migrantes demande une approche spécifique. La plupart d’entre elles ont du mal à respecter les horaires, on ne sait jamais si elles vont se présenter ou pas, je dois rester flexible par rapport au programme envisagé. Le plus important est de créer un climat de confiance entre les participantes, pour qu’elles se sentent à l’aise de s’ouvrir les unes aux autres. A travers le mouvement, je les incite aussi à se reconnecter à ce qui est vivant en elles, à leur corps et au plaisir d’être avec les autres. » 

La mission est visiblement accomplie, comme le confirme Marie-Laure : « Nous avons beaucoup discuté entre nous. Tout le monde pouvait raconter comment s’était passée sa semaine. Dessiner, peindre et bouger ensemble nous a fait prendre conscience des qualités de chacune et nous a rapprochées. On partage nos expériences et on se donne des conseils. »

Une expression revient dans toutes les discussions : prendre du temps pour soi. « Durant les ateliers, nous étions concentrées sur le moment présent. Nous ne pensions plus à nos soucis, à notre procédure d’asile, à nos enfants. Nous profitions de l’instant sans nous tracasser de l’avenir. » Assiatou, une autre participante, renchérit : « On arrivait avec la tête pleine de soucis et on en sortait relaxées. Cela nous a soulagées de se changer les idées et de profiter d’un moment rien que pour nous. Une fois de retour dans nos appartements, par contre, difficile de ne pas se faire rattraper par le quotidien. » 

Rester fidèle à soi-même malgré les difficultés

Wafaa, elle, a choisi deux images pour représenter ses aspirations : la première montre une maman et sa fille, enlacées. La seconde une femme à la peau noire vêtue d’une robe aux motifs africains. « Actuellement, je suis séparée de mes trois enfants. Je souffre de troubles psychiatriques et je ne suis pas en état de m’occuper d’eux. Je rêve d’avoir à nouveau une relation de confiance et de proximité avec mes enfants, en particulier avec ma fille. Je veux le meilleur pour elle, je veux qu’elle réussisse sa vie même si elle est loin de moi pour le moment. La femme avec sa magnifique robe, elle, m’invite à rester fidèle à moi-même et à mes racines malgré les difficultés que je traverse. J’ai beau être une étrangère en Belgique, je peux être fière de moi et d’où je viens et je mérite le respect. » 

Wafaa s’est inscrite aux ateliers d’art-thérapie pour casser la spirale négative dans laquelle elle s’était enfoncée ces derniers mois. « J’avais tendance à m’isoler dans mon appartement mais je me suis rendu compte que rester entre quatre murs augmentait mon stress. Pour me sentir mieux, j’ai besoin de sortir. J’ai passé de très chouettes moments cet été avec Valérie et avec les autres femmes. Cela m’a fait du bien de faire partie d’une communauté. On a rigolé, on s’est amusées, on s’est raconté nos histoires. Je me suis aussi inscrite à une formation d’aide-ménagère cet automne, pour rester active. » 

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« Cela m’a fait du bien de faire partie d’une communauté et d’échanger avec les autres participantes. »

Wafaa, résidente aux Logis de Louvranges. - © Caritas International

La prise en charge psychologique, un aspect essentiel de l’accompagnement

La prise en charge psychologique fait partie intégrante de l’accompagnement proposé par Caritas International aux résidents et résidentes de ses structures d’accueil. A leur arrivée, ils et elles se voient systématique proposer un suivi. « Nous leur expliquons en quoi cela consiste, si nécessaire avec l’aide d’un-e interprète », explique Julie Couvreur, infirmière au centre d’accueil de Ransart, près de Charleroi. « Nous leur demandons s’ils et elles en ressentent le besoin. Beaucoup commencent par refuser et nous essayons alors de comprendre pourquoi. Dans certaines cultures, voir un psy équivaut à être fou. Si la personne accepte, parfois même après plusieurs mois, nous la mettons en contact avec un-e psychologue. »

Caritas International collabore en effet avec un large réseau de professionnel-le-s en santé mentale dans les différentes régions où l’organisation est active. « Nous avons appris à sélectionner soigneusement les intervenant-e-s », précise Rosane Beauve des Logis de Louvranges. « Il faut que les psychologues aient une expérience dans le domaine de la migration et que le suivi soit adapté à notre public. Sans quoi, on court le risque de poser des diagnostics problématiques. Nous collaborons par exemple avec le centre Woman’Dõ, spécialisé dans l’accompagnement post-traumatique de femmes exilées ayant fui des violences. »

Une expérience à renouveler

Le fait d’organiser des ateliers collectifs d’art-thérapie au sein même d’une structure d’accueil constitue une première pour Caritas International. « Nous avions quelques craintes », admet Rosane Beauve. « Ces ateliers n’allaient-ils pas de déclencher des crises chez les participantes ? C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de focaliser les animations sur ce qui fait du bien. Les retours sont très encourageants et nous avons l’intention de réitérer l’initiative l’été prochain ».

Caritas a pu compter sur le soutien de Fedasil, l’agence responsable de l’accueil des demandeurs et demandeuses de protection internationale en Belgique. « Le fait que Fedasil se préoccupe de la santé mentale des résidentes est très positif », conclut Rosane. « Avec The Red Pencil, ils proposent d’ailleurs de l’art-thérapie dans plusieurs de leurs centres. » 

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